FNRS.news 124 - Le flipbook du numéro
Dossier
« From the bench to the bedside… to the bench again »
On mentionne souvent cette formule « du laboratoire au chevet du patient » pour qualifier le trajet de la recherche en sciences médicales. En vérité, il ne s’agit pas d’un trajet, mais plutôt d’une boucle tant les allers-retours sont nombreux entre recherches fondamentales et recherches cliniques. Une collaboration qui mérite d’être poussée encore plus loin.
A priori, les sciences médicales sont simples à comprendre pour le grand public. Sans doute parce que la finalité des recherches est évidente : découvrir de nouvelles thérapies pour améliorer la prise en charge des patients. Pourtant, si la finalité coule de source, les moyens pour y arriver sont parfois surprenants. Partons de la levure. Le chercheur fondamental s’attèlera par exemple à expliquer le fonctionnement d’une protéine chez ce modèle assez éloigné de l’homme. « Nous faisons face à des mécanismes parfois bien décrits dans certains modèles, mais pas chez l’homme », confirme Denis Mottet, Chercheur qualifié FNRS à l’ULiège. « L’objectif est de savoir, par exemple, si une protéine se comporte de la même manière chez l'Homme et chez la levure. La compréhension d’un mécanisme physiologique fondamental est intéressante, mais il est aussi intéressant de le confronter à un contexte pathologique dans le cas qui nous intéresse. »
Denis Mottet, Chercheur qualifié FNRS, Gene expression and cancer Laboratory (GIGA GEC Lab), ULiège
« Faire une recherche sans qu’elle ait une applicabilité n’est plus aussi sexy qu’avant. »
C’est là que peut intervenir le clinicien-chercheur, même si la frontière entre la recherche fondamentale et clinique est parfois ténue. « Pour voir si des résultats sont transposables à l’humain, il faut une étude clinique », commente Nicolas Lanthier, Chercheur clinicien FNRS à l’UCLouvain. « Tout commence par une question centrale, et des éléments de réponse sur l’animal. Il faut ensuite rédiger un protocole d’étude et discuter de ses critères, car étudier l’homme est plus complexe qu’étudier un modèle animal. » Ce dernier élément explique pourquoi les recherches n’aboutissent pas toujours au résultat escompté. De plus, « la recherche clinique présente un caractère hétérogène car chaque être humain va se comporter différemment. De même, une maladie peut être due à divers facteurs », explique Nicolas Lanthier. « Mais si l’étude clinique est bien conçue, et que les patients sont bien caractérisés, cela devient une mine d’or et cela apporte bien plus d’enseignements que l’évaluation d’un traitement ou d’une approche thérapeutique. Les données des patients restent riches et continuent de faire progresser les connaissances. »
Nicolas Lanthier, Chercheur clinicien FNRS, Institut de recherche expérimentale et clinique (IREC), UCLouvain
« La recherche clinique présente un caractère hétérogène car chaque être humain va se comporter différemment. »
Un processus circulaire
Les recherches clinique et fondamentale se nourrissent donc l’une l’autre, non dans un processus linéaire, mais bien circulaire. « L’avantage est d’être sur le pont entre ces deux pôles », confie Nicolas Lanthier. « Le clinicien-chercheur est confronté dans sa pratique à des problématiques encore non résolues et à des maladies parfois courantes pour lesquelles aucun traitement n’est disponible. Grâce à un dialogue avec le laboratoire qui travaille sur des projets plus spécifiques, ces problématiques peuvent être intégrées et mener à des résultats captivants ». « La recherche n’est pas unidirectionnelle, confirme Denis Mottet. La vision du clinicien-chercheur et celle du chercheur fondamental se nourrissent l’une l’autre et forment une boucle. L’approche est bien sûr différente. Le clinicien-chercheur fait face à des patients, l’approche est guidée par les données cliniques. Le chercheur fondamental cherche à comprendre des mécanismes plus moléculaires à l’échelle de la cellule. »
Faire coïncider recherche fondamentale et clinique n’est pas forcément aisé, car la temporalité à l’intérieur de laquelle les chercheurs évoluent n’est pas la même. « La recherche fondamentale prend du temps car elle confronte des idées, des hypothèses. C’est un voyage vers l’inconnu, vers l’infiniment grand, explique Denis Mottet. La question de départ est plus vaste ; il est moins évident d’y répondre. Cela peut être le travail d’une vie, et encore, il faut parfois s’y mettre à plusieurs. Ce n’est pas pour rien qu’il y a des communautés de chercheurs à travers le monde qui travaillent sur les mêmes questions ». « Les recherches cliniques peuvent être plus rapides, confirme Nicolas Lanthier. Elles prennent généralement entre 6 et 12 mois. Les résultats d’une étude amènent cependant d’autres questions, d’autres recherches. Mais à une question posée, le délai pour avoir une réponse est plus court. »
Décloisonner, c’est la clé
La collaboration entre les deux pôles est nécessaire au succès de la recherche en sciences médicales. Arsène Burny, Président de la Commission scientifique Télévie, souhaite faire « tomber ce mur qui existe entre les chercheurs et les cliniciens ». « Très peu de chercheurs fondamentaux ont l’opportunité de pouvoir interagir aisément avec des cliniciens, confirme Denis Mottet. « C’est quelque chose qui change cependant, car nous sommes conscients que le travail en recherche fondamentale doit être orienté par des questions cliniques. Faire une recherche sans qu’elle ait une applicabilité n’est plus aussi sexy qu’avant. Il y a 25 ans, si l’on voulait planter un arbre la tête à l’envers pour voir s’il poussait mieux, personne ne nous en aurait empêchés. Aujourd’hui, les choses ont changé, notamment au niveau de l’octroi des subsides. Il faut penser nos questions et voir quel est leur intérêt pour la santé à l'échelle de la société. »
« Pour améliorer la situation, les universités et les hôpitaux ont (dans la mesure du possible) tout intérêt à opérer un rapprochement géographique », poursuit le chercheur du GIGA. « L’implémentation du labo dans l’hôpital permettrait de construire plus facilement des ponts entre chercheurs fondamentaux et cliniciens. » Nicolas Lanthier abonde dans ce sens. « Je pense que si on alliait vraiment les compétences, tout le monde en profiterait. Quand il y a la possibilité d’inviter des cliniciens, même en formation, à des réunions de laboratoire où se côtoient des chercheurs fondamentaux, il faut le faire. Il y a une dimension enrichissante à ce rapprochement. »
Clinicien-chercheur, une denrée rare
Le FNRS et le Télévie soulignent le manque de cliniciens-chercheurs en sciences médicales. « Un clinicien-chercheur est avant tout un clinicien qui a un contact avec les patients », explique Nicolas Lanthier. « C’est quelqu’un qui identifie des problèmes encore non résolus. Il lance des projets de recherche pour mieux comprendre une maladie donnée ou évaluer de nouvelles pistes thérapeutiques. »
Être clinicien-chercheur, c’est consacrer la moitié de son temps à la recherche. « Je travaille à mi-temps dans le service d’hépatologie et de gastroentérologie des Cliniques St-Luc et à mi-temps dans le laboratoire de recherches où j’ai effectué ma thèse de doctorat en sciences biomédicales et pharmaceutiques », témoigne Nicolas Lanthier, qui a également des charges d’enseignement. « J’ai des semaines très chargées. L’avantage est que l’on fait de la recherche dans un domaine où la finalité est palpable. On voit les patients en clinique. On voit ce pourquoi on est chercheur. Cela donne du sens. »
L’équilibre est toutefois difficile à trouver entre recherche et clinique, a fortiori en ces temps de Covid. « Malheureusement, en clinique, il y a des urgences que l’on ne peut éviter. La gestion de la Covid nous a laissés moins de temps pour la recherche. Mais la solidarité entre confrères, y compris à l’université, permet d’être remplacé à certains moments. C’est à chacun de mettre ses limites et de trouver un équilibre. »
+ Voir l’article consacré aux cliniciens-chercheurs
Laurent Zanella
L’intro et le sommaire du dossier : Sur les traces de la méthode scientifique