Marie Annelise Blanchard vient de recevoir le McKinsey & Company Scientific Award 2025. Cette chercheuse en sciences psychologiques et de l’éducation a obtenu un mandat de Chargée de recherches FNRS à l’UCLouvain en octobre 2024, mandat suspendu pour un an car elle mène actuellement un postdoctorat à la KU Leuven.
Le McKinsey & Company Scientific Award récompense une chercheuse ou un chercheur dont la thèse de doctorat démontre une forte pertinence sociétale et économique, ou encore une applicabilité pratique particulièrement marquante.
La thèse de Marie Annelise Blanchard, qui a permis à la chercheuse de décrocher ce Prix, est consacrée à une meilleure compréhension de l’épuisement parental, et est intitulée : « The temporal dynamics of parental burnout: Extending the network approach to the family system ». Entretien avec la lauréate.
1- Vous avez mené des recherches sur le burn-out parental. Pouvez-vous expliquer en quoi consiste ce phénomène et quels en sont les principaux facteurs de risque ?
Pour certains parents, même s'ils étaient auparavant épanouis dans leur rôle, la parentalité peut devenir une source de souffrance plutôt que de joie : ils font un burn-out parental. Cela implique quatre éléments principaux : l'épuisement émotionnel, la distance émotionnelle par rapport à leurs enfants, le sentiment d'être dépassé et l’impression de contraste avec le parent que l'on était auparavant.
Le burnout parental survient lorsque les parents ne disposent pas de ressources suffisantes pour compenser les facteurs de stress liés à la parentalité. Cela signifie que le risque de développer un burnout dépend fortement du contexte de chaque parent : un parent peut être confronté à de nombreux facteurs de stress (par exemple, plusieurs enfants de moins de cinq ans, des difficultés financières), mais disposer également de nombreuses ressources (par exemple, un soutien social important, de l'aide pour s'occuper des enfants, de bonnes capacités de régulation émotionnelle) qui peuvent l'aider à amortir ces risques.
2- Quelle méthodologie utilisez-vous dans le cadre de vos travaux ?
Ma recherche visait principalement à mieux comprendre le quotidien des parents (aussi bien les parents en général que ceux en situation d'épuisement parental), ancré dans le contexte de leur système familial. Pour ce faire, nous avons mesuré chaque jour les expériences parentales des parents (notamment leur niveau de fatigue, la complicité avec les enfants et le sentiment de dépassement), ainsi que leur perception des interactions avec leurs enfants, leur partenaire (éventuel) et le contexte social en général. Pour ce faire, nous avons utilisé une technique de collecte de données appelée «échantillonnage intensif » (experience sampling methodology en anglais), qui consistait à demander aux parents de répondre à de brèves questions chaque jour pendant deux mois. Ces données richement détaillées sur les vécus quotidiens nous ont permis d'étudier en profondeur les fluctuations dans les expériences parentales, et d'examiner les schémas récurrents qui se formaient au fil des jours.
3- Le McKinsey & Company Scientific Award distingue des projets présentant une forte pertinence sociétale et économique. En quoi vos recherches correspondent-elles ces critères selon vous ?
Le rôle parental a considérablement évolué au cours des dernières décennies, entraînant une pression intense sur les épaules des parents. Aujourd’hui, ça a un impact très réel : en Belgique, environ 8% des parents souffrent de burn-out parental. Même sans atteindre le seuil du burn-out clinique, la plupart des parents connaissent des jours où ils se sentent extrêmement dépassés et épuisés. Mes recherches ont tenté de mieux comprendre et contextualiser ces expériences, dans le but ultime de mieux prévenir et traiter le burnout parental.
Cette recherche sur l'épuisement parental donne ainsi une voix et une légitimité aux parents qui se sentent souvent isolés et coupables de vivre leur parentalité comme une souffrance. De plus, ma thèse, ainsi que d'autres travaux, identifie l'épuisement émotionnel comme la première étape menant à l'épuisement professionnel, et souligne ainsi l'importance de solutions systémiques pour offrir aux parents épuisés des espaces où se ressourcer (par exemple, garde d'enfants gratuite).
4- Que représente ce Prix pour vous et pour la poursuite de vos recherches ? Est-ce particulièrement important de soutenir la recherche en sciences humaines et sociales ?
Ce Prix reflète les années de travail qui ont mené à cette thèse, non seulement de ma part, mais aussi de la part de mes collègues, collaboratrices et collaborateurs, et surtout de tous les parents qui ont partagé leur temps et leurs ressentis lors de ces études. Je compte poursuivre mes recherches, en me concentrant particulièrement sur les méthodes et les plans des études d'échantillonnage intensif, afin d'étudier comment nous pouvons mesurer et analyser au mieux les vécus quotidiens.
La recherche en sciences humaines et sociales touche directement à la manière dont nous, êtres humains, façonnons notre expérience du monde, avec toutes nos joies et nos difficultés. Essayer de mieux comprendre les expériences humaines, y compris comment soulager la souffrance, est toujours une quête valeureuse.
« Cette recherche sur l'épuisement parental donne ainsi une voix et une légitimité aux parents qui se sentent souvent isolés et coupables de vivre leur parentalité comme une souffrance. »
