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Comprendre la maladie pour mieux la combattre – Pierre Sonveaux

Une note de Pierre Sonveaux, Maître de recherches FNRS et Professeur de pharmacologie à l'UCLouvain – Université catholique de Louvain.

Chères toutes et chers tous,

La communauté scientifique, y compris l’université de Gand, vient de faire un pas important pour la compréhension de la maladie COVID-19. La porte d’entrée du virus dans les cellules, qui est nécessaire pour que la maladie se développe, est une protéine qui s’appelle ACE (angiotensin-converting enzyme) (1,2). Ainsi, plus l’expression d’ACE est élevée chez un individu, plus le risque qu’il fasse la maladie est élevé. Or, des études indiquent que l’expression de cette enzyme est plus élevée chez les personnes âgées, chez certaines personnes atteintes de troubles cardiaques et chez les personnes atteintes d’obésité. Cela expliquerait pourquoi ces populations sont plus à risque que d’autres.

Or, il existe aussi des polymorphismes de cette enzyme (1). Cela signifie que l’enzyme, l’ACE, existe sous des formes différentes dans différentes populations. Ainsi, les populations scandinaves et des pays de l’est ont en général une enzyme dont la forme diffère de celle des pays occidentaux. Puisque l’ACE est la porte d’entrée du virus dans nos cellules, si sa forme change, alors la possibilité qu’a le virus de causer la maladie change aussi. Imaginez une clé (le virus) et une serrure (la protéine ACE). Si la serrure change de forme, la clé rentre moins bien ou ne rentre plus du tout. Ainsi, selon l’étude gantoise, c’est parce que la forme de l’ACE est semblable à une mauvaise serrure chez les populations scandinaves et des pays de l’est que ces personnes sont moins sujettes à la maladie. Par contre, chez les occidentaux, la forme de l’ACE est semblable à une bonne serrure, et le virus entre donc plus facilement. C'est particulièrement le cas pour les habitants du Limbourg. Le risque infectieux du COVID-19 n’a donc rien à voir avec une meilleure ou moins bonne Médecine en Belgique par rapport à d’autres pays. Ce risque est lié à des différences génétiques entre populations.

Lorsque la personne est infectée, le virus bloque la protéine ACE. Un peu comme si la clé restait dans la serrure. Or, ACE est une enzyme dont le bon fonctionnement protège contre l’inflammation et contre les maladies cardiovasculaires. Si le COVID-19 bloque l’ACE, alors l’individu fera une inflammation pulmonaire et aura des problèmes cardiaques pouvant être mortels. Et c’est là que la maladie est pernicieuse ! En effet, plus l’individu a d’ACE (plus le nombre de serrures est élevé), plus il sera protégé d’une issue fatale, puisque toutes les serrures ne seront pas occupées par des clés (il restera des serrures libres, c’est-à-dire des enzymes fonctionnelles). Par contre, les individus qui possèdent moins de quantité de l’enzyme (moins de serrures) auront plus de mal à surmonter la maladie, puisque la malchance que toutes les serrures soient occupées/bloquées par des clés augmente. Donc, plus d’ACE augmenterait le risque d’infection mais diminuerait le risque de décès. Et moins d’ACE diminuerait le risque d’infection mais augmenterait le risque de décès.

Une piste des plus prometteuses à mes yeux est celle qui étudie actuellement les médicaments déjà existants qui interagissent avec l’ACE. L’idée est que si, avant l’infection, toutes les serrures étaient bloquées, alors le risque d’attraper la maladie serait annulé. Par contre, si on bloquait avec un médicament toutes les copies de l’enzyme, on risquerait d’induire des problèmes inflammatoires et cardiovasculaires chez les individus sains. La possibilité thérapeutique serait donc d’empêcher l’accès du virus à l’ACE en empêchant le virus d’interagir avec sa cible tout en maintenant l’activité de l’enzyme. Un peu comme si on mettait du tape sur la serrure : cela empêcherait l’entrée d’une clé sans pour autant bloquer la serrure. Il est également possible de retirer la clé (le virus) de la serrure (l’ACE) avec des médicaments chez les patients malades, mais c’est plus compliqué.

Un effet secondaire de la chloroquine et de l’hydroxychoroquine est de modifier la forme de l’ACE (3). Si la forme change, le risque de contamination diminue. Par contre, avec la chloroquine et l’hydroxychoroquine, l’ACE semble être inhibée (la serrure est bloquée) ce qui augmente le risque de mourir d’un arrêt cardiaque. Ces médicaments sont donc des candidats intéressants mais imparfaits. D’où la précaution, justifiée à mes yeux, de la communauté scientifique : il ne faut pas tuer les patients avec un médicament alors qu’ils auraient pu survivre au virus sans ce médicament. C’est évidemment une situation très difficile à gérer, d’autant plus que l’opinion publique, qui est souvent incorrectement informée et réagit avec ses tripes, s’en mêle. Il faut à tout prix éviter que ‘vox populi vox dei’ devienne une réalité dans le domaine médical en général et dans le cadre de l’infection COVID-19 en particulier. Il s’agit de problèmes complexes, et il faut un solide bagage médical ne fut-ce que pour comprendre comment opère une maladie. Moi-même, je dois bien admettre que je ne comprends pas encore tout de la maladie COVID-19, parce que ce n’est pas mon domaine d’expertise et parce que bien des données moléculaires manquent.

La suite avec l’évolution ultérieure des recherches au niveau mondial.

N’hésitez pas à soutenir les chercheurs dans le domaine.
En Belgique, le FNRS vient d’ouvrir un appel à proposition de projets contre le COVID-19. Soutenez-le ! https://www.frs-fnrs.be/fr/l-actualite-fnrs

Pour soutenir la recherche contre le COVID-19 à l'UCLouvain: https://getinvolved.uclouvain.be/covid-19/~mon-don

Soyez prudents, restez chez vous !
Gardez un esprit critique: allez toujours vérifier les sources!

Prof. Pierre Sonveaux, PhD
UCLouvain

(1) The host's angiotensin-converting enzyme polymorphism may explain epidemiological findings in COVID-19 infections. Delanghe JR et al. Clin Chim Acta 2020 :505 :192-193.
(2) https://www.ugent.be/nl/actueel/corona-polymorfismen
(3) Chloroquine is a potent inhibitor of SARScoronavisus infection and spread. Vincent MJ et al. Virology Journal 2005;2:69.