Semaine du cerveau

À l’occasion de la Semaine du cerveau, focus sur trois axes de recherche développés par des chercheurs et chercheuses FNRS : ils visent à mieux comprendre différents types d’addiction afin d’ouvrir la voie à de nouvelles pistes thérapeutiques.
Le dialogue complexe entre notre intestin et notre cerveau
Amandine Everard, Chercheuse qualifiée FNRS, Investigatrice WEL Research Institute,
Louvain Drug Research Institute, UCLouvain
Amandine Everard cherche à comprendre le dialogue complexe entre l'intestin et le cerveau. Le microbiote intestinal, c'est-à-dire l’ensemble des microorganismes présents dans notre intestin, est un acteur central de l’axe intestin-cerveau capable de moduler les comportements alimentaires.
En effet, la chercheuse explique que « le comportement alimentaire est aussi influencé par le plaisir induit par l’ingestion de certains aliments, notamment les aliments riches en sucres et en graisses, appelés aliments palatables, qui procurent une sensation de plaisir. En effet, à la fin d’un repas, certains individus vont être tentés par une douceur sucrée afin de ressentir le plaisir qui y est associé. »
L’équipe de recherche, menée par Amandine Everard, a notamment remarqué « des dérégulations majeures du système dopaminergique » chez des animaux de laboratoire obèses. Ce qui va se traduire par « des altérations du plaisir alimentaire et de la motivation pour obtenir une récompense alimentaire ». Ce phénomène est également observé chez les sujets souffrant d'obésité.
« Lors de l’ingestion d’aliments palatables, les sujets obèses présentent une diminution de l’activité neuronale dans les zones associées au système de la récompense en comparaison à des sujets sains. Ceci peut paraître contre-intuitif dans un premier temps mais ces altérations sont apparentées à ce que l’on peut observer dans des phénomènes d’addiction. »
Ainsi, les personnes atteintes obésités « devront augmenter la quantité d’aliments palatables à ingérer pour ressentir le même plaisir alimentaire, ce qui explique la surconsommation observée dans le cadre de l’obésité. »
Des données récentes montrent que des patients qui souffrent d’obésité ont un système de la récompense qui reste altéré malgré une perte de poids de 10%. Cette altération expliquerait qu’il soit difficile, pour certains patients, de maintenir un régime sur du long terme.
La chercheuse ajoute qu’ « une modulation de l’axe intestin-cerveau en utilisant des approches ciblées sur le microbiote intestinal sont suggérées comme de nouvelles pistes thérapeutiques intéressantes à investiguer. Ceci pourrait mener à de potentielles applications cliniques visant à restaurer les altérations du comportement alimentaire notamment face à l’exposition constante à une alimentation très dense en calories. »
Everard, A. (2023). Le microbiote intestinal régule-t-il les comportements alimentaires ? Vaisseaux Cœur Poumon, vol.28, N°4
Voir ou revoir les Visages de la recherche sur LN24 avec Amandine Everard : Notre intestin dialogue avec notre cerveau
Addiction aux drogues : un nouveau mécanisme inattendu découvert
Alban de Kerchove d’Exaerde, Directeur de recherches FNRS, Investigateur WEL Research Institute,
Neurophy Lab, ULB
En 2018, l’équipe d’Alban de Kerchove d’Exaerde découvre un gène jouant un rôle essentiel dans l’addiction à la cocaïne, Maged1. En effet, son inactivation rend la souris insensible aux effets de la cocaïne. Il est apparu que ce gène contrôle la libération de la dopamine, le neurotransmetteur associé au système de récompense.
Quelques années et recherches plus tard, au début de l’année 2024, l’équipe publie un nouvel article avec une étonnante découverte. La région du cerveau où ce gène joue son rôle essentiel dans l'addiction était en réalité située en dehors du circuit de la récompense. De plus, une mutation de ce gène chez l'homme est associée à un risque accru de dépendance à la cocaïne. Que nous apprend cette découverte ? Les réponses d’Alban de Kerchove d’Exaerde.
Dans quelle zone le gène Maged1 joue-t-il un rôle ? Quelle est sa fonction ?
Le gène Maged1 joue son rôle dans une petite région du cerveau située sous le cortex et le ventricule, appelée le thalamus paraventriculaire. Maged1 interagit avec des protéines qui modifient la structure de la chromatine via un mécanisme inédit dans le contexte de l'addiction. Ce processus modifie l'expression de nombreux gènes dans cette région.
Que signifie le fait que le gène se trouve en dehors du circuit de la récompense ? Qu'est-ce que cela implique dans la compréhension du mécanisme d'addiction ?
La découverte que le gène Maged1 joue son rôle en dehors du circuit de la récompense élargit la perspective des régions cérébrales à étudier dans la problématique de la dépendance aux drogues, qui rappelons-le est la 5ème cause de mortalité. Jusqu'à présent, les recherches se concentraient principalement sur le système dopaminergique et ses efférences. Cette nouvelle information met en lumière des mécanismes encore inconnus, ouvrant ainsi la voie à une compréhension plus complète des processus d'addiction et ouvrant ainsi de nouvelles perspectives thérapeutiques potentielles.
Quel genre de nouvelles pistes thérapeutiques ces récentes découvertes peuvent-elles ouvrir dans les prochaines années ?
Le fait d'avoir associé des mutations de Maged1 et de ses protéines partenaires à des modifications de comportements chez des patients dépendants à la cocaïne montre que les découvertes faites chez la souris sont pertinentes pour l'homme. De plus, l'inhibition pharmacologique du mécanisme récemment identifié altère les effets de la cocaïne, indiquant que l'espoir d'une voie thérapeutique est fondé. Actuellement, nous cherchons à comprendre comment Maged1 affecte la fonction des neurones du thalamus paraventriculaire et quels sont les gènes dont l'expression modifiée par Maged1 expliquent ces modifications d'activité neuronale. Ces gènes pourraient devenir des cibles pharmacologiques prometteuses pour de futurs traitements.
Le neurofeedback : une approche neurocognitive complémentaire au traitement du trouble de l’usage de l’alcool
Clémence Dousset, Aspirante FNRS,
Laboratoire de Psychologie médicale et Addictologie, ULB
« Le neurofeedback est une technique qui permet au patient de prendre le contrôle de son activité cérébrale en temps réel. Grâce à l'électroencéphalographie, l'activité cérébrale est enregistrée et affichée sur un écran sous une forme simplifiée, comme, par exemple une barre qui monte ou descend. Ainsi, le patient visualise en temps réel son activité cérébrale et apprend à ajuster cette activité pour atteindre des objectifs de traitement, tels que l'amélioration de capacités cognitives comme l'attention ou de l'inhibition.
Dans le cadre de cette recherche, le protocole utilisé cible les atteintes cérébrales associées à l’abus d’alcool, dans le but de rétablir les ressources cognitives nécessaires à la gestion des impulsions et des envies de consommation.
Les traitements du trouble de l’usage de l’alcool se concentrent principalement sur la médication et la psychothérapie. Si la médication peut réduire l'envie de consommer, elle ne cible pas directement les déficits cognitifs engendrés par la consommation abusive de l'alcool. La psychothérapie, quant à elle, traite les causes psychologiques de la dépendance, mais sans s'attaquer directement aux effets neurocognitifs de la dépendance à l'alcool. Le neurofeedback, en complément de ces approches, agit sur le fonctionnement cérébral, visant à rétablir ou à renforcer les capacités cognitives nécessaires au maintien de l'abstinence. »
Communiqué de presse ULB (8 janvier 2025). Dépendance à l’alcool : le neurofeedback, un complément thérapeutique prometteur
Sur quelles parties ou fonctions du cerveau le neurofeedback agit-il exactement ?
Il existe différents protocoles qui, quand on utilise le neurofeedback via l'EEG comme interface d'imagerie, visent différentes bandes de fréquences. Dans le cas de mon protocole de recherche, nous ciblons l'activité sensorimotrice (SMR) comprise généralement entre 12 et 15Hz et qui est générée par le cerveau quand nous sommes éveillés et attentifs mais relaxés, au repos. Les résultats de la littérature scientifique montrent que l'augmentation de la puissance de cette activité serait associée à une amélioration des capacités cognitives. Plus précisément mon hypothèse est la suivante : en augmentant la puissance de l'activité SMR, l'augmentation de l'inhibition thalamique interne associée, diminuerait l'intensité des biais attentionnels auxquels sont sujets les patients, libérant ainsi les ressources neurales nécessaires au réseau frontal pour mettre en place une inhibition optimale. Ainsi, dans un contexte environnemental lié à l'alcool, les patients réagiront moins intensément aux indices qui leur donnent envie de consommer et auront plus de ressources pour inhiber une tendance d'approche, de consommation. De cette manière, le neurofeedback peut aider les patients à maintenir leur abstinence.
Est-ce que tout le monde peut être réceptif au neurofeedback ?
Tout le monde peut pratiquer le neurofeedback. Cependant, l’une des spécificités du neurofeedback est que le patient devient acteur de sa prise en charge. Il doit être prêt à s’investir dans plusieurs séances pour favoriser les changements qui permettront de réduire ses symptômes.
A-t-on déjà des résultats sur l’efficacité de cette méthode ?
Le protocole SMR a déjà fait l'objet de nombreuses meta-analyses et s'est révélé significativement efficace dans la prise en charge des symptômes de pathologies comme le TDAH ou l'épilepsie. Le neurofeedback a d'ailleurs été élevé au range n°1 des approches thérapeutiques complémentaires dans la prise en charge du TDAH aux USA. Dans le cadre des addictions, l'efficacité du protocole sur lequel je travaille a d'abord été évaluée à travers d'une étude pilote menée au laboratoire de Psychologie Médicale et d'Addictologie du CHU Brugmann. Les résultats se sont révélés significatifs et ont été publiés l'année dernière (Dousset, C., Wyckmans, F., Monseigne, T., Fourdin, L., Boulanger, R., Sistiaga, S., ... & Campanella, S. (2024). Sensori-motor neurofeedback improves inhibitory control and induces neural changes: a placebo-controlled, double-blind, event-related potentials study. International journal of clinical and health psychology, 24(3), 100501.)
Est-ce que cette technique pourrait être utilisée dans le cas d’autres addictions ?
Oui tout à fait, ce protocole pourrait être utilisé dans les addictions à d'autres substances et dans les addictions dites comportementales. Toujours en complément de l'approche thérapeutique pharmacologique et psychothérapeutique, l'approche neurocognitive renforce la prise en charge. Et le neurofeedback, selon mon hypothèse, est un outil particulièrement pertinent dans le sens où il engage le patient dans sa prise en charge, de manière active et dans le sens où son but est de restaurer un fonctionnement cérébrale sain, à long terme.